Concours de nouvelles : Textes des gagnants

 Voici donc les trois écrits sélectionnés par le Jury  :

Mon château dans les nuages

 La jeune fille pouvait avoir 15 ou 16 ans. Adossée à  l’ombre du  gros rocher  de la plage, les mains posées sur les genoux, elle semblait perdue dans ses pensées comme à mille lieues de là. Son ample chevelure brune frémissait parfois sous les caresses d’un vent tiède et léger tout comme le  vêtement qu’elle portait, une sorte de sari bleu et or. Elle était d’une beauté sauvage, animale. Son regard empreint d’un voile de tristesse et de gravité dégageait en même temps une profondeur et une maturité peu communes pour une jeune fille de son âge. Elle regardait de ses grands yeux verts le garçon et son père qui avaient entrepris d’édifier un château de sable en ce beau dimanche de l’été de l’année 2017.    La construction en était à ses débuts, à ses fondations. La pile de sable n’était pas vraiment impressionnante, pas encore, insuffisante pour un ouvrage de grande taille comme il semblait se dessiner à en juger par l’espace qu’ils avaient délimité, un peu plus bas sur la plage à la lisière du sable sec.   La mer, après l’étale, recommençait de monter. Elle serait là dans deux heures à peine. Il ne fallait pas tarder. Le père, de toute évidence, s’était établi comme le premier architecte. Le jeune garçon était le maître-maçon. Il charriait des seaux et des seaux de sable. Des petits seaux de plage d’une contenance toute dérisoire qui l’obligeaient à de multiples allées et venues. Encore et encore.

 Les premières vagues, avant d’atteindre le château, se heurteront aux fondations. Il faut assez de sable pour monter une pile suffisamment haute expliquait le père. Mais il faut aussi de l’eau, encore de l’eau. Et le garçon partait en trottinant, énergique et appliqué, vers la mer à la fois si proche et si lointaine. Et repartait, le front baissé, obstiné, comme un paysan chinois marchant dans son champ et ployant sous sa palanque chargée de navets, sous le regard attendri de la jeune fille. Elle les observait et écoutait les soliloques du papa. Le jeune enfant demeurait silencieux, il semblait heureux et fier de participer à la construction de l’édifice.   Il faut tasser maintenant, comme cela, tu vois, disait son père. C’est fondamental mon garçon dans la construction. Il ne faut pas qu’il y ait de l’air qui circule. Et ajouter de l’eau, mais pas trop. Pas trop. Juste ce qu’il faut. Comme ça, oui, c’est bien… Le sable est de qualité, les grains sont fins. Plus les grains sont fins, vois-tu, mieux c’est.  Tu peux creuser les douves maintenant. Comme cela, l’eau attaquera plus tard les murailles ou les remparts. C’est fon-da-men-tal ! Moi, pendant ce temps, je vais commencer d’édifier les tours et les murs d’enceinte. Tiens, passe-moi le seau. Ce sera plus facile qu’avec les mains. Ah ! Evidemment, nous n’avons pas tous les moyens ni les outils des bâtisseurs du moyen-âge. Des cages d’écureuil pour hisser les pierres jusqu’au sommet des murs, des plans inclinés pour pousser les brouettes, des équerres ou  encore du fil à plomb. Sais-tu que la construction de certains châteaux nécessitait le concours de plus de quatre cents maçons et de mille manœuvres et pouvait durer plus de quarante ans. Nous n’avons pas, nous, une équipe d’autant de manœuvres et de maçons, et tout ce temps. La mer, à mon avis, sera là dans moins d’une heure.   Allez, mon p’tit gars ! Pressons-nous, pressons-nous ! Parce qu’après les douves et les tours et les murailles, il faudra aussi penser au donjon, aux parapets, aux créneaux, au chemin de ronde, aux meurtrières, aux mâchicoulis et aussi aux barbacanes pour repousser les assaillants. Il faut être certain que les sarrasins ne pénètreront pas dans notre château. Que nous pourrons résister au siège qu’ils nous préparent. On leur jettera des pierres, des matières incendiaires, de l’huile bouillante, de la poix, du plomb fondu… Comme au temps des croisades et de Godefroy de Bouillon. Mais je ne sais même pas si on aura le temps de repousser l’assaillant. Aïe, aïe, aïe ! Ma muraille s’effondre sur le côté. Le sable n’a pas été assez tassé. Et la première vague vient nous surprendre. Sauve qui peut !    « Expéditive la traîtresse investit notre forteresse, la renversant, la détruisant. Adieu donjon, tours et courtines… ».  Ah ! Diable, diable, Georges Brassens l’avait déjà imaginé, soupira le père !    Bon, ajouta-t-il, en tout cas, nous nous sommes bien préparés pour demain, on fera le même château, mais il faudra quand même aller plus vite pour apporter le sable et l’eau. On n’aura pas un instant à perdre. Nous allons maintenant retrouver notre seigneurie où nous  attend, j’en suis certain, un vrai festin. Que veux-tu au menu ? Sanglier ou chevreuil ? Anguilles ou brochets ou de la baleine salée ? Faisans, cygnes ou paons avec leurs épices, cannelle, girofle ou poivre vert ? As-tu apporté ton luth, ta vielle ou ton rebec, mon garçon ? Ta viole ou ton tambourin pour fêter ce grand jour ?  «Au demeurant ce n’était qu’une vague sans amplitude aucune, une vaguelette égarée…Adieu donjon, tours et courtines… » continuait-il de chantonner.   La jeune fille plongea son regard dans celui du petit garçon qui remontait doucement vers le haut de la plage. Elle lui adressa un sourire auquel il répondit. Tu viens aussi demain alors, comme on a dit, lui demanda-t-il ?

            La journée demain serait longue. Le petit garçon s’endormit d’un bloc sous l’œil caressant de sa maman et du marchand de sable. Son épée de bois au pied du lit, il rêva de terribles batailles, de chevaliers et aussi d’une fée aux grands et jolis yeux verts. Le lendemain, sous un soleil de plomb, la famille prit le chemin de la plage, le cœur en fête.  Vous avez deux heures pour prouver que vous êtes le meilleur bâtisseur annonça un homme portant panama et veste à boutons dorés. C’était le président du jury.  Deux heures ! Vous avez tout le sable de la plage à votre disposition et toute l’eau de la mer même si elle s’est un peu retirée comme par timidité. Mais n’en doutez pas, elle reviendra et s’attaquera à vos forteresses. A vous de lui résister au mieux. L’homme, assurément, aimait les châteaux de sable, comme il aimait jouer avec les mots, les images. Vous pouvez  représenter des châteaux existants ou en édifier d’autres qui répondent à votre seule imagination. Chaque équipe est composée de deux ou trois personnes dont un enfant obligatoirement. Les seuls outils autorisés sont : pelle, râteau, seau, règle ou couteau. Vous pouvez utiliser aussi pour créer des effets de matière des moules ou toute autre fortune de mer. Vous serez informés régulièrement du temps qu’il vous reste pour réaliser votre œuvre. Et le public, cher public, est appelé à ne pas perturber l’épreuve par une présence trop ostensible ou des commentaires inappropriés. Seul le jury pourra converser avec les candidats au cours de l’épreuve s’il le juge pertinent. A vous tous qui participez à notre prestigieux concours de châteaux de sable, sous un merveilleux soleil, je souhaite bonne chance ! Et, pour conclure, comme le disait l’écrivain américain Henry Moreau : « Si vous avez construit des châteaux dans les nuages, votre travail n’est pas vain ; c’est là qu’ils doivent être. A présent donnez-leur des fondations. ». Il est très précisément 15 heures. Je vous donne donc rendez-vous à 17 heures. Le petit garçon ne fut pas vraiment surpris de voir, tout à côté de lui, dans le carré délimité pour chacun des 29 candidats, la jeune fille qui était accompagnée par un vieux monsieur. Celui-ci portait une espèce de robe longue à capuchon et était coiffé d’un turban, coiffure assez inattendue sur une plage bretonne. Il déplia un siège de toile pour s’y asseoir. La jeune fille chargée de deux grands seaux entreprit de multiples allées et venues et déchargeait le sable exactement où le lui recommandait le vieil homme. Il la dirigeait, restant toujours assis, avec force mouvements des bras et des mains ou des inclinaisons de la tête, tout en lui parlant doucement d’une voix chantante dans une langue que ne comprenait pas le petit garçon. Celui-ci s’affairait pareillement avec son père et commençait d’édifier les bases de leur château. Le père était moins volubile que la veille. Tout en dirigeant la manœuvre, il jetait  un regard sur les autres châteaux en cours d’élaboration par les autres candidats. Et hochait la tête, comme saisi d’un doute sur la qualité et la magnificence de son propre ouvrage. Le jury n’avait pas interdit aux candidats de se déplacer et de se mêler au public pour  comparer leurs travaux. Mais c’était prendre le risque de perdre beaucoup de temps et de  tenter de s’imprégner d’un savoir-faire que l’on ne saurait soi-même parfaitement maîtriser. De toute évidence il y avait parmi les candidats des bâtisseurs hors pair, très organisés, s’assurant parfaitement de techniques parmi les plus éprouvées. Le règlement du concours autorisait l’usage et la référence à des photos représentant des édifices. Le père reconnut la forteresse de Bonaguil, le château de Pierrefond, la Ville close de Concarneau ou encore la Cité de Carcassonne. Bien d’autres ouvrages, parmi les plus nombreux, n’étaient que le fruit de l’imagination des compagnons bâtisseurs. Mais l’un, plus particulièrement, l’intriguait. C’était celui sur lequel son petit garçon n’arrêtait pas de jeter les yeux. Il avait remarqué la veille, déjà, que la jeune fille et son petit garçon avaient noué une certaine complicité. Elle l’avait aidé à porter quelques seaux de sable et ils avaient même échangé quelques mots entre deux éclats de rire. Et il semblait maintenant hypnotisé par la manière dont la jeune fille et le vieux monsieur qui l’accompagnait conduisaient la construction de leur château. Celui-ci n’était pas vraiment un château d’ailleurs. Il était très particulier. Il ne présentait pas de larges murailles ou de hautes tours. C’était un ensemble complexe, délicat, posé sur une grande esplanade surélevée pour résister aux premiers assauts des vagues. Un monument agrémenté de colonnes, d’un arc monumental et triomphal. Un édifice appartenant à des siècles très reculés et, assurément, d’une autre région du monde. La jeune fille œuvrait sans relâche. Elle maniait avec une extrême habileté une large lame ainsi qu’une règle plate dont les faces lui servaient à lisser et leurs arêtes à trancher. Elle utilisait aussi une petite spatule pour sculpter quelques-uns des éléments de décor, les niches, les ouvertures, le merlon du toit en terrasse ainsi que les marches du temple et bien d’autres détails. Enfin, suivant les conseils du vieux monsieur elle avait recours à un vaporisateur pour humidifier le support et éviter de le voir s’ébouler.

 Il ne restait plus que quelques minutes avant que le président du jury n’annonce la fin de la compétition. Le jury s’était un moment attardé devant l’ouvrage du petit garçon et de son père. Il était reparti avec un mot d’encouragement du genre, c’est bien, continuez… qui n’eut pas l’air de satisfaire pleinement le papa bâtisseur. Il s’était attardé bien plus longuement auprès de la jeune fille et de son grand-père. Le petit garçon n’avait-il pas décidé que le vieux monsieur portant une impressionnante moustache blanche était bien son grand-père. Un membre du jury s’était gratté la tête avant de murmurer quelques mots à l’oreille de son collègue lequel s’agitait sans cesse sur ses longues jambes. La  seule femme de ce jury faisait couler des poignées de sable dans ses fines mains, en usant comme d’un sablier. La fin du concours fut bientôt annoncée au micro. La mer était encore assez loin pour permettre au public et à tous les participants d’apprécier le travail de l’ensemble des candidats. Chacun y avait mis tout son cœur et son talent sous un soleil éclatant qui faisait de cette journée une belle journée, décidément. Le jury qui s’était mis à l’écart s’avança sous le parasol aux couleurs de la banque partenaire et annonça le résultat. Le jury, clama le président, a apprécié l’ensemble des réalisations et nous tenons à féliciter tous les participants grands et petits. Plusieurs prix ont été délivrés tenant compte de la qualité du travail, l’imagination, la fidélité des reproductions de châteaux ou d’ouvrages existants. Le jury, à l’unanimité, a décidé d’attribuer son grand prix cette année à cette charmante jeune fille qui, avec son grand-père, a réalisé une œuvre majestueuse. Quel est votre prénom jeune fille ? Zenobia ? Un très joli prénom, vraiment ! Vous voulez peut-être  nous en dire plus sur votre réalisation Zenobia ? Ce château de sable est en réalité un temple répondit la jeune fille d’une voix douce et dans un français parfait. Il s’agit de la reproduction du temple de Bêl à Palmyre. Il a été détruit il y a près de deux ans maintenant, non par de belles vagues mais par des hordes barbares. Comme vous le savez, la belle ville de Palmyre a été prise et reprise par L’Etat islamique. Elle est de nouveau libre depuis le mois de mars de cette année. L’ancien Directeur des antiquités du site, Khaled Al Assaad, a été décapité en public le 18 Août 2015 par les jihadistes. J’étais présente ainsi que mon grand-père qui a travaillé sous sa responsabilité. C’est un jour que je n’oublierai jamais. Palmyre a vécu une tragédie. La Syrie vit une tragédie ajouta Zenobia dans un souffle en ravalant ses larmes. Le petit garçon en la voyant si émue, si troublée, se rapprocha d’elle et lui prit la main en la regardant avec un regard intense. Tu ressembles trop à mon petit frère chéri lui dit Zenobia en se penchant vers lui, à mon petit frère Farid. Je suis sensible poursuivit la jeune fille en se retournant vers le jury et le public qui l’écoutaient dans un silence écrasant, je suis sensible à toute l’attention que vous avez portée à notre temple de sable que nous avons construit, mon grand-père et moi, avec toute notre science, notre amour et notre mémoire meurtrie, mais voyez ce que je peux faire sans attendre que la mer l’atteigne et l’anéantisse. Voyez ce beau temple que vous admirez, regardez-le pour ne jamais l’oublier, mais regardez-le surtout tel qu’il est aujourd’hui. Et de ses pieds nus, d’un mouvement brusque, elle détruisit le bel édifice. Tous furent frappés de stupeur, incapables de la moindre réaction. La belle Zenobia qui portait le nom de la Reine de Palmyre ajouta après un long moment de silence, tout en regardant le petit garçon qui lui pressait la main fermement, je fais le rêve que la cité de Tadmor, Palmyre et le temple de Bêl soient un jour reconstruits sans que les hordes sauvages ni les vagues ne s’en mêlent. C’est mon château à moi, mon château dans les nuages. Il est aussi le vôtre.

Bruno Bernard (Cholet)

 

Oisiveté fatale

Comme chaque année, mon épouse Marie-Catherine et moi, avions pris possession de nos quartiers d’été dans notre penty, sis en campagne quimpéroise. Cette retraite était censée, du moins pour moi, être mise à profit pour parachever le recueil de nouvelles que mon éditeur me réclamait avec insistance, depuis deux mois.  L’inspiration hélas restait calée au niveau zéro…

Le plus clair de mes journées, je le passais à traîner mon incommensurable oisiveté sur les bords de l’Odet ou bien encore à flemmarder aux terrasses des bistrots. Au quantième café noisette en étais-je au moment où je reçus sur mon smartphone ce message bizarre ? : STOP : RSLP

Ne me demandez surtout pas par quel truchement : réseau social, mail ou SMS me parvint ce message; la profondeur de mon ignorance en ce domaine est absolument abyssale. Ne me demandez pas non plus quelle mouche m’a piqué à cet instant pour avoir idée de répondre.

Mais je répondis ! : »Pourriez-vous expliciter votre missive, un rien absconse ? »

Je posai cette question sans même savoir si je serais lu ou si j’étais victime d’une sempiternelle offre promotionnelle, certes mirifique, à laquelle il est absolument vain de répliquer.  La réponse fusa avec une célérité inimaginable : Sexagénaire Très Oisive Propose : Rencontre Sur La Plage

Piqué par la curiosité et ma foi plutôt amusé, je me laissai prendre au jeu et questionnai, non sans une pointe d’ironie : « Copacabana ? Phuket ? M’Bour ? Sète ? Knokke-le-Zoute ? »

« Choisissez ! Je serai là… »    Ne voulant bien sûr pas en rester là, j’osai révéler me trouver à Quimper… »Rendez-vous à la tombée du jour sur la plage de Bénodet ! »

Est-ce la perspective de découvrir mon alter ego « es oisiveté » ou la curiosité (quoi d’autre ?), toujours est-il que sous un fallacieux prétexte  je me rendis libre et qu’entre chien et loup j’étais bel et bien sur la plage de Bénodet, sans certitude aucune sur la véracité des propos reçus l’après-midi même…  Peut-être que tout cela n’était que plaisanterie !? En tenue estivale, un blazer jeté de façon faussement décontractée sur les épaules, j’eus à peine le temps de faire quelques pas avant d’apercevoir une lumières blafarde à quelques centaines de mètres de moi. Celle-ci fut à mes côtés en un éclair…

Abasourdi, terrorisé même, je la reconnus immédiatement, fidèle aux clichés de l’imaginaire populaire : une vieille femme courbée, ridée, au nez camard, une faux au manche capité à la main : la Mort. « Inutile que je me présente, dit-elle d’une voix froide et rocailleuse, par contre, vous, je ne vous connais pas, mon bel ami ! »  Mes mâchoires eurent du mal à se décoincer pour que je puisse articuler mes premiers mots :   Tout d’abord, je ne suis pas « votre bel ami » ! Je crus percevoir l’esquisse d’un sourire sur l’hideux visage. « Qui êtes-vous ? Qu’escomptiez-vous trouver en ce lieu ? » Sans vergogne, je déclinai ma véritable identité, ajoutant : « Je suis écrivain, un peu désœuvré, en quête de situations sensationnelles sortant de l’ordinaire… »  « Eh bien, mon bel ami, voilà vos vœux exaucés au-delà de toutes vos espérances, je suppose ? Pour être tout à fait franche avec vous, j’ai déjà eu plusieurs de vos confrères comme « clients » et en particulier dans la région, Pierre-Jakez Hélias, Théodore Hersart de La Villemarqué et Edouard-Joachim Corbière entre autres… » La question liminaire qui me taraudait surgit : « Mais pourquoi moi ? »

« Admettez, mon bel ami, que c’est vous qui avez souhaité me rencontrer et non l’inverse ! D’ordinaire, c’est bien moi qui choisis « mon client » que je nomme, toujours avec une indéniable affection : « mon bel ami »…Mais notre « activité » est en pleine restructuration, poursuivit-elle ; parallèlement au maintien des valeurs sûres que sont mes consœurs, la mort violente, la mort naturelle, la mort prématurée, la mort lente ou même la belle mort, il a été décidé, pour se mettre au goût du jour, de créer un poste de « e-mort» qui m’a été confié et vous avez le privilège d’être mon premier « recrutement ».

Tout en parlant, la Mort virevoltait autour de moi, menaçante, semblant littéralement flotter dans les airs…  J’insistai : « Vous affirmez ne pas m’avoir choisi, mais vous m’avez tout de même ciblé en parlant d’oisiveté ! »  » ‘ »Je vous répète ne pas vous connaître… L’oisiveté est, dit-on, mère de tous les vices, donc entre autres de la luxure et du voyeurisme… Je pressentais cet appât efficient !  Mon silence fut éloquent ; quasiment un aveu… Elle ajouta : »Seul le terme « sexagénaire » est légèrement erroné, dû à l’immémoriale coquetterie féminine, sans doute. » À cet instant de notre joute verbale, je me demandai s’il était possible que je sois victime d’hallucinations… Pour en avoir le cœur net, bravant mon effroi, je lâchai mon blazer et me mis à courir comme un dératé, poursuivi, puis irrémédiablement devancé, par un vilain rire sardonique. Je cessai ma course en me jetant sur le sable à côté d’un couple assis, se tenant tendrement par la main, contemplant l’océan… Dans une parfaite simultanéité, ils tournèrent la tête dans ma direction, me jetant le même regard, autant circonspect que réprobateur… La camarde se planta face à nous et entama une danse débridée, faisant tournoyer sa faux au-dessus de nos têtes… En d’autres circonstances, j’eus peut-être pu apprécier cette extravagante chorégraphie; mais pas celle-ci, en l’occurrence synonyme de danse macabre. « Eh non, ils ne me voient pas, me cria la faucheuse, ni même ne m’entendent ! Ce n’est pas leur heure… » Acculé, le cerveau et le corps tétanisés, je me relevai brusquement, bien décidé à regagner au plus vite ma voiture. Comme il était à prévoir, la Mort me coupa toute retraite, l’air encore plus menaçant. « Finissons-en ! hurla-t-elle, Avez-vous une dernière volonté ? »  Pris de court, je fus éberlué de m’entendre répondre, naïvement : « Je voudrais rentrer chez moi… »  Je ne sais quelle force insoupçonnée me permit de me jeter de côté  lorsqu’elle lança sa faux subito pour me couper en deux. Ce geste fut malheureusement insuffisant pour esquiver entièrement l’attaque. La douleur fulgurante générée par la pointe de l’arme lacérant mon flanc gauche me fit bondir dans mon lit en poussant un hurlement qui, bien évidemment, réveilla mon épouse… Après les quelques secondes nécessaires pour reprendre nos esprits, je me penchai, un peu penaud, et déposai un tendre baiser sur le front de ma dulcinée, lui murmurant à l’oreille de se rendormir. Quant à moi, en nage de pied en cap, je me levai pour prendre une douche que j’entrevis aussi hygiénique que relaxante… Je prolongeai avec délice ce moment. Plusieurs minutes plus tard, au sortir de la salle de bains, j’entendis Marie-Catherine, qui s’était probablement levée préparer le petit-déjeuner, partir d’un éclat de rires retentissant. « Quelle drôle d’idée t’es donc passée par la tête pour ressortir le vieux blazer élimé que je t’ai offert l’année de notre mariage ? »… Me lança-t-elle, brandissant l’objet du délit.

Et d’ajouter : « Ça fait bien quinze ans que tu ne l’as pas porté ; ce n’est plus du tout à la mode et excuse-moi, mon bel ami, mais ton embonpoint ne te permet plus du tout d’envisager l’enfiler !  » Je ne sais quel évènement me glaça le plus les sangs : l’apparition inexpliquée de mon blazer ou le fait que, pour la première fois en plus de quarante ans de mariage, elle m’appelle : « mon bel ami »… Essayant de faire bonne figure, j’improvisai une réponse qui, dans l’immédiateté, me parut plausible : »J’ai décidé de faire de la place dans ma penderie et je pense donner ce vêtement à la Communauté d’Emmaüs… » Et j’ajoutai : « Même s’il n’est plus « très mode », il pourra encore rendre service à une personne dans le besoin… »

D’un air goguenard, elle répliqua : « Bravo mon chéri, cette décision, ô combien cruciale, a un peu tardé, mais en tout cas, c’est bien celle qu’il fallait prendre ; mais il faudra enlever tout le sable stocké dans les poches avant de le porter au pressing… »  Les premiers rayons du soleil rehaussèrent l’avenant sourire qu’elle arborait lorsqu’elle s’avança vers moi… Elle m’enlaça la taille fougueusement. Je la repoussai vivement, presque brutalement, électrisé par une violente douleur, là, en bas des côtes, sur le côté gauche…

Jean François Le Foll  ( 66300 Tresserre)

 

A pas de souris

Chère Arielle Toussaint,

Voilà douze ans que nous nous connaissons, sans vraiment nous connaître. Nous échangeons quelques sourires, quelques mots, dans la cage d’escalier. Mais timides l’une et l’autre nous n’allons pas plus loin. J’ai pourtant beaucoup appris de vous toutes ces années. Non ! Je n’écoute pas aux portes ! Tout simplement je suis votre voisine du dessous, Monique Démontais, et votre vie quotidienne ne m’est pas inconnue. Je ne vous écris pas pour me plaindre. J’aime les bruits de votre vie. Enfin… je les aimais. Et aujourd’hui je vous écris parce que je m’inquiète pour vous. Je ne sais pas quel âge vous avez mais vous avez l’âge d’avoir de jeunes enfants même si vous n’en avez pas. Et moi j’ai l’âge d’être leur grand-mère même si je ne le serai jamais. Cette différence d’âge me donne le courage de vous écrire, comme une mère à sa fille. J’ai l’expérience de la vie, vous avez la vie devant vous. Lorsque vous êtes arrivée dans l’immeuble, votre vie était feutrée et vos pas, légers sur le plancher. Vous descendiez l’escalier en sautillant et en chantonnant. Je vous voyais parfois partir au marché, un cabas à la main, acheter des produits frais pour mitonner le plat favori de votre tendre mari. Je l’imaginais tendre, forcément, à vous voir si gaie et si vivante. Je l’ai rarement croisé mais il avait une bonne tête, oui vraiment la tête du bon gars. Le soir j’entendais son pas d’homme dans l’escalier, la porte de votre appartement s’ouvrir puis vos petits pas de souris qui vous menaient jusqu’à lui. Vous lui sautiez au cou, sûrement et échangiez des baisers. Vous voyez, je vous imaginais ! La porte, maintenant, à peine ouverte, se referme en claquant. Plus de petits pas de souris. Vous n’allez plus l’accueillir. Il a arrêté de se déchausser. Manque de respect pour le parquet soigneusement ciré. Quelques éclats de voix de votre part, sans doute pour le lui signifier. Lui, balançant ses chaussures en réponse. Puis ne les balançant plus. Vous, arrêtant de vous énerver, passant les mois et les années. Et finalement arrêtant de cirer. Il s’est mis à rentrer de plus en plus tard, à traîner au café. Forcément, on n’a plus rien à se dire, même plus envie de se disputer. Il y a un grand vide. Son pas s’est fait de plus en plus lourd dans l’escalier. Pendant quelque temps vos pas de souris ont perduré dans la journée et ne s’éteignaient que le soir. Puis de mois en mois, ils ont complètement disparu. Maintenant vous frappez le plancher vous l’attaquez du talon, rageuse, plus de douceur, plus de légèreté.  Vous n’allez plus au marché. Pour le peu de cas qu’il fera de votre souper. Je ne vous entends plus chantonner en descendant l’escalier. Il y avait aussi votre pas glissé du matin, depuis la chambre à coucher jusqu’à la cuisine. Ce petit pas glissé encore un peu endormi, emmitouflé dans une robe de chambre, qui va jusqu’à l’évier. Le bruit d’un robinet, d’une porte de placard. Le moulin à café. Et  puis l’eau qu’on verse avec amour dans le filtre, tout doucement, bien régulièrement, pour que la poudre donne tout son arôme. Il arrivait un peu plus tard, rasé de près. Ses tartines étaient déjà beurrées. Ni trop, ni pas assez. Juste comme il les aimait. Vous le serviez, il vous souriait. La journée avait merveilleusement bien commencé. Maintenant, à peine est-il servi que j’entends vos pas, résignés, retourner vers la chambre à coucher. Je le sais, j’y suis moi aussi. Un grincement de sommier. Vous voilà recouchée ? Attendant qu’il parte ? Vous n’avez plus envie de partager ce moment du matin. Vous le fuyez. Le soir, vos pas de souris vers la chambre à coucher étaient suivis de près par son pas plus lourd mais calme et serein. Et tous deux enlacés, vous rêviez aux lendemains. Maintenant c’est lui qui va se coucher le premier, à peine le repas terminé, il traîne des pieds, se cogne aux meubles. Ceux que vous avez achetés un à un dans les premières années, choisis ensemble. Vous les avez chéris, et entretenu avec soin. Je vous entendais ouvrir et fermer la porte de la grande armoire de votre chambre. Celle avec le miroir à l’intérieur. On regarde les piles de linge, lavées de frais, bien repassées. On jette un coup d’œil dans le miroir. Oui, cette robe est bien jolie. Un coup d’œil dans la penderie. Cette chemise de nuit aussi. Alors je suis triste, triste pour vous qui avez mis tant de cœur à lui faire la vie agréable, qui avez tout fait pour continuer à lui plaire malgré l’indifférence grandissante qu’il affichait. Vous alliez chez le coiffeur tous les premiers vendredi du mois. Vous vous souvenez de ce joli chignon qui vous allait si bien ? Vos cheveux sont  maintenant à peine coiffés. J’entendais votre machine à coudre. Vous en faisiez de jolies robes ! Elles étaient fraîches comme votre teint. Mais voilà que vos robes se fanent avec les années. Plus de lendemains à espérer.

*****

J’ai relu ma lettre et je me suis demandé à qui, au fond, elle était adressée. J’ai chiffonné la feuille et je l’ai jetée par terre. Je suis restée là, sans bouger. Combien de temps ? Je ne sais pas mais l’heure du marché était passée. Tout le monde avait sûrement déjà remballé. Je me suis levée, je suis montée sur une chaise pour attraper la boîte de mes économies. Et j’ai compté. Cinq cent soixante-douze francs. On va où avec cinq cent soixante-douze francs ? Je n’ai pas besoin d’aller très loin. On tient combien de temps ? Sûrement assez pour trouver un travail. Je prendrai un petit hôtel. Je mangerai du pain. Je suis bonne couturière, on me donnera de l’ouvrage.

J’ai pris ma valise, j’ai ouvert l’armoire. Celle avec le miroir à l’intérieur. Devant mes yeux, sa pile de chemises, bien repassées. Je les ai prises et une à une et je les ai froissées. J’ai mis mes vêtements dans la valise. Un à un, bien pliés. Une pile de robes, une pile de gilets. Entre les deux, mes sous-vêtements. Ma brosse à cheveux, ma brosse à dents. Je suis allée ramasser la lettre chiffonnée, je l’ai fourrée  dans ma  poche.  J’ai pris une autre feuille. J’ai écrit : « Je pars ». Et je n’ai pas signé.

                                                                                       Cécile Amy ( Annecy)

 

Thème : La lettre ou Rencontre sur la plage

Organisateur Association Ker-hars Quimper

Article 1 : Conditions de participation

a) Ce concours est ouvert à tous les auteurs francophones.
La participation au concours est fixée à 10 € par œuvre présentée dans la limite de 1 nouvelle par thème par auteur. le règlement devra se faire par chèque, établi à l’ordre de l’association « ker-hars »

b) Les organisateurs du concours, leur famille, les membres du jury ne peuvent y participer.

c) Il s’adresse à toutes les personnes, sans distinction d’âges. Pour les participants mineurs, remplir l’autorisation parentale. (Voir à la fin de ce règlement)

d) limite des Dépôts des textes le 15 mai 2017 (Cachet de la poste faisant foi)

Article 2 : Envoi des nouvelles

a) Envoi par courrier à l’adresse suivante :
Association « ker-hars » a l’attention de Catherine Marc 2, rue de Bearn 29000 quimper
Les envois en recommandé ne seront pas acceptés.
La fiche d’inscription sera insérée dans une enveloppe blanche à part. L’enveloppe devra être scellée et porter uniquement le titre de la nouvelle et le thème

b) dans la grande enveloppe doivent se trouver :
— Le texte de la nouvelle en 4 exemplaires.
— L’autorisation parentale pour les participants mineurs.
L’envoi devra être fait dans une enveloppe au format C4 (229x324mm)
c) Un envoi par internet à ker-hars@wanadoo.fr

Article 3 : Exigence par rapport aux textes

a) tout candidat peut concourir d’une année sur l’autre.
Pour concourir, les nouvelles, rédigées en langue française, doivent respecter le présent règlement. Le style est libre, dans le respect du thème imposé :thèmes :
1) « La lettre » 2) Rencontre sur la plage

b) Chaque candidat s’engage à garantir l’originalité de l’œuvre qu’il présente, à défaut de quoi le plagiat ou la contrefaçon pourraient lui être reprochés et il en supporterait seul toutes les conséquences. Les textes envoyés devront obligatoirement être inédits et jamais primés, publier ni faire l’objet d’une diffusion même en cercle restreint.

c) Du seul fait de leur participation, les auteurs garantissent les organisateurs et le jury contre tout recours éventuel de tiers en ce qui concerne la propriété des œuvres présentées.

d) Les textes doivent respecter les bonnes mœurs et la bonne moralité, ne comporter aucun propos discriminatoire, diffamant ou contraire à l’ordre public. Les textes doivent être rédigés en langue française, mais peuvent contenir des éléments en langue étrangère.

e) Les manuscrits ne seront pas retournés à leurs auteurs et seront détruits à la fin de ce concours.
Les nouvelles de l’édition 2017 doivent s’inscrire dans les thèmes

f) Chaque candidat devra présenter son texte sous forme dactylographiée, format de page A4 (21/29, 7 cm), avec : interligne 1,5, police de caractère Times New Roman, taille de police de caractère 12, marge de type normale.
La nouvelle devra comporter 4 pages maximum exclusivement imprimées en recto.
Elle devra obligatoirement comporter un titre.
Les pages seront numérotées et reliées par une agrafe dans le coin supérieur gauche.
Les organisateurs ne sauraient être tenus responsables en cas de perte ou de dégradation de l’œuvre pendant l’envoi.

… Suite du règlement et Inscription

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